Sur ton site web, la première chose qu’on découvre, c’est “High tech funk & soul since 1994”. Voilà une définition originale pour un DJ et producteur de musique électronique. Que se cache-t-il derrière ces notions ?
La notion de High Tech Funk ne vient pas de moi, elle vient de Detroit, mais je dois dire que c’est un concept dans lequel je me retrouvais par rapport à la musique que j’essaie de faire. Le funk est une musique que j’essaie toujours d’intégrer dans mes productions techno. L’idée n’est pas de faire du funk aux sonorités techno, mais de retrouver l’esprit du funk dans mes morceaux. J’ai ajouté le terme « Soul » car, j’essaie également dans une bonne partie de mes morceaux d’y mettre de l’âme, c'est-à-dire quelque chose qui touche aux émotions.
Jean-Michel Jarre définit ta musique comme n’étant pas de la post Detroit, mais de l’émotion. Tu aurais toujours suivi ton propre fil rouge en prenant soin de ne pas te laisser influencer par les tendances du moment. Comment as-tu réussi à maintenir le cap de cette manière ?
Ce n’est pas facile et ce n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait croire, quelque chose de naturel. Naturellement, on aura plutôt tendance à s’adapter à l’évolution des tendances pour essayer de rester « up to date ». Et même si au niveau de l’utilisation des moyens techniques, j’essaie d’évoluer, dans l’esprit et la philosophie de la musique que je compose, j’essaie de rester moi-même, de continuer à faire une musique proche de ce que j’ai construit ces 30 dernières années. Ça veut dire, pour en donner une image, que j’ai construit une sorte de cercle qui représente ma musique, et dans ce cercle, j’essaie d’aller dans toutes les directions, d’être le plus créatif possible sur un territoire délimité. C’est cette limitation qui me permet à la fois de devoir pousser ma créativité pour ne jamais faire deux fois le même morceau, et à la fois de garder une vraie identité car pour moi, un bon artiste est celui qu’on peut reconnaître entre mille. Je ne dis pas que j’ai atteint ce but, mais en tous cas, c’est le compliment que je reçois le plus souvent par rapport à ma musique et c’est celui qui me fait le plus plaisir.
En parlant de Detroit, les sons de la Motown, comme on l’appelle également, sont inhérents à tes créations musicales. Comment définirais-tu le son de Detroit ? Et comment définirais-tu ton propre son ?
Pour moi ce n’est pas une question de son mais d’esprit de cette musique. C’est justement le type d’émotions que l’on peut ressentir en écoutant la musique que nous faisons, qu’elle vienne de Detroit ou d’ailleurs. Cette sorte de nostalgie mêlée d’espoir que l’on peut ressentir dans les accords et les harmonies qui sont joués. L’utilisation de tous les éléments constitutifs d’un morceau qui converge vers ce but. Une musique qui touche l’âme, mais aussi qui a une certaine capacité à faire bouger, une puissance à la fois émotionnelle et physique. Cela a l’air simple dit comme ça, mais c’est une alchimie qui est très difficile à atteindre, car elle ne se construit pas comme une maison, brique par brique, ou une recette de cuisine, ingrédient par ingrédient, il faut construire un tout harmonieux en le pensant dans son ensemble très rapidement.
En juin dernier, tu as sorti l’album intitulé 101 en référence au célèbre synthétiseur de la marque Roland. Sur ta page Instagram, on apprend de ta part qu’il “était temps de réaliser un LP à la gloire du Roland SH-101”. Peux-tu nous en dire plus sur la manière dont tu as procédé à l’élaboration de cet album ?
J’ai toujours utilisé le Roland Sh 101, Laurent Garnier aime bien me titiller sur ce fait, car je l’utilise pratiquement dans tous mes morceaux au point que je lui signale presque fièrement quand je lui envoie un morceau qui ne contient pas de sons du Sh 101. C’est un synthé magique pour moi, presque vivant, organique et avec un spectre tellement large de sonorité. On peut tout faire avec ce synthé. Parfois j’ai presque l’impression que j’arrive à le faire chanter… Ses basses sont monstrueuses, son portamento unique. C’est vraiment un élément central de ma musique. Pas sûr que j’aurais fait cette carrière sans le découvrir. Pour l’album, j’ai été rechercher des morceaux que je considère comme faisant partie de mes classiques, des anciens morceaux que je n’avais jamais sorti et des nouveaux morceaux. Je trouve que cela ne s’entend pas trop, ce qui me fait dire que l’ensemble est cohérent. Il fallait absolument que je sorte un LP qui reprend mes morceaux construits sur base du Sh 101. Sur cet LP, je suis d’ailleurs plutôt parti sur un choix de morceau club et relativement minimaliste. Je devrais pouvoir en faire un autre sur base de morceaux plus complexes et mélodiques.
On a récemment pu lire sur ta page Facebook que tu vas te produire en live à Angers le 21 octobre prochain avec le public des Modern Factory et du Chabada. Ce sera l’occasion de venir te voir et écouter ton travail créatif en direct. On imagine qu’un tel événement se prépare minutieusement. Peux-tu nous expliquer comment tu t’y prends pour préparer ton live ?
Pour ce nouveau live j’ai décidé de me passer d’un ordinateur. J’ai opté pour l’Akaï « Force » comme pièce centrale du live (séquenceur, sampler, effets). Je ne me suis jamais autant amusé en live qu’au temps où je tournais avec une MPC et mon Sh 101. L’idée est de revenir à ce type de configuration en bénéficiant des avancées techniques actuelles. En termes de contenus, j’ai décidé d’intégrer pas mal de morceaux de mon catalogue à travers le temps. Presque un voyage entre 98 et 2023. Présenter ma musique dans le temps, encore une fois en restant cohérent et avec une orientation club. On passera de mes univers mélodiques à mes univers plus minimalistes et très techno.
Qui dit Fabrice Lig, dit Rockerill. Le site des forges de la Providence a été reconverti en salle de concerts et expositions alternatives pour le grand bonheur du public festif. Le Rockerill, c’est une véritable institution musicale et culturelle carolo, wallonne et belge qui fait la fierté de notre scène électronique. Selon toi, qu’est-ce qui rend ce lieu si exceptionnel ?
Là aussi, c'est une alchimie qui fait du lieu un lieu à part. D’une part, l’architecture de l’usine est unique et brute, mais dans cet aspect brut se ressent l’âme des travailleurs qui y ont souffert. On y retrouve donc une forme de nostalgie d’une époque à la fois glorieuse pour le lieu et la région et difficile pour les individus qui travaillaient très dur pour que cette industrie soit si florissante. Après, un élément essentiel est aussi l’équipe à la base de l’élaboration du projet « Rockerill ». Des passionnés de musique, mais surtout des personnes (Globul et Mika, les gérants) axées sur les relations humaines, l’histoire du lieu, de leur ville et cela se ressent non seulement dans la façon de gérer le lieu, mais aussi d’en faire un endroit humain, un bain de jouvence social. Les artistes comme le public le sentent tout de suite en arrivant, c’est certainement ce qui a fait la longévité de l’endroit et du projet artistique.
Et qui dit Rockerill, dit Flashforward. La rentrée se fait avec une magnifique tête d’affiche, Marcel Dettmann, résident du célèbre et mythique club berlinois Berghain. On aura également le plaisir d’écouter entre autres Lefto Early Bird and Red D, Tiga, Gheist, Acid Arab et Helena Hauff. C’est vraiment du lourd ! Alors peux-tu nous dire comment est né le concept et ce qui rend possible aujourd’hui des bookings aussi impressionnants ?
Tout ça s’est construit sur 20 ans, nous avons toujours Globul et moi fait des soirées à Charleroi, c’était important pour nous de développer des choses dans notre région, surtout qu’on était convaincu que l’âme de Charleroi était faite pour la techno de par son passé et ses habitant.e.s
Les débuts au Rockerill ne permettaient pas d’inviter de gros artistes, mais on faisait venir des artistes que l’on connaissait et qui avait toujours cet esprit techno, qu’ils viennent de Detroit, Berlin, Bruxelles ou Gand. Avec les années et le développement du lieu, on a pu se permettre d’inviter des artistes que l’on adorait, respectait, mais dont la réputation faisait que les cachets étaient plus élevés. On a toujours invité des gens dont on était fan et on a toujours privilégié le booking de personnes qui avaient la même vision que nous de la musique électronique et des relations humaines. Aujourd’hui, avec l’émergence des festivals et les cachets qui augmentent de manière démentielle, c’est de plus en plus difficile d’inviter tous les artistes que l’on veut. Les clubs ne sont plus toujours leurs priorités. Heureusement, certain.e.s restent fidèles à l’esprit de cette musique qui ne peut être dissociée de la culture des clubs et de la relation de proximité et de communion avec le public. C’est avec ces artistes que nous travaillons.
Revenons-en à Fabrice Lig. Tu as produit sur des labels parmi les plus réputés dans le milieu électronique tels que KMS, Planet-e, R&S, F-Communications, Motech,... La liste est longue et sans doute pas encore finie. Pourrais-tu nous dévoiler quelques-unes de tes prochaines sorties ?
Je n’ai plus de plans en termes de carrière ou de sortie. La musique est une partie importante dans ma vie, mais elle n’est pas la seule. C’est justement le piège dans lequel je ne devais pas tomber si je voulais rester intègre à mes valeurs et ma philosophie de la musique. L’argent ne devait pas être une motivation au risque de compromettre le son que j’avais construit depuis des années. À la fin des années 2000 je suis donc retourné dans les classes pour enseigner la philo. J’adore enseigner donc cela n’a pas été difficile pour moi.
J’ai donc toujours des morceaux en construction, mais sans avoir de pression sur le timing de sortie.
Par contre, je sais qu’un ep de remixes sortira bientôt sur Elypsia. Des morceaux de mon album « The Mental Bandwidth » remixés par Plaid, Cynthie et Truncate.
Et que fais-tu quand tu ne fais pas de musique ?
Comme expliqué plus haut, j’enseigne la philosophie dans l’enseignement secondaire mais depuis trois ans, j'ai lancé un autre projet par lequel j’élabore des outils pédagogiques pour enseigner le respect des animaux dans les classes. C’est une vocation que j’ai depuis l’enfance, mais que j’avais dû mettre de côté, trop accaparé par ma carrière musicale. C’est un projet qui me prend énormément de temps aujourd’hui mais pour lequel je suis hyper motivé.
En tant qu’artiste de longue date dans le milieu, pourrais-tu nous décrire la scène électronique belge actuelle vue selon tes propres yeux ?
Le constat ne sera pas très positif…Les clubs se meurent et les festivals écrasent tout sur leur passage. L’argent a pris le pas sur l’artistique à quelques exceptions près, ce qui laisse peu de place aux artistes originaux. L’image et le côté show ont plus d’importance que la musique. On trouve encore dans tout ça de petites pépites qui brillent, mais dans un univers de paillettes, leur lumière passe parfois inaperçue. Heureusement, il y a encore des bastions comme le Fuse, des organisations où l’art a encore sa place, je pense au C12 etc. Avant, c'était la norme, aujourd’hui ce sont des exceptions.
Je le dis sans trop d’aigreur, car il est normal que les habitudes et les loisirs évoluent et changent. Ce qui m’attriste le plus c’est que cette évolution se fait en grande partie sur des paramètres financiers et non sur des paramètres artistiques.
Et enfin, si tu avais l’occasion de faire passer un message à tes fans, lequel serait-ce ?
Je leur dirais que les vrais artistes ne sont pas toujours les plus visibles et extravagants sur les réseaux sociaux, que le nombre de followers n’est pas un critère pertinent de qualité et je les encourage à chercher sous la surface et derrière les effets de mode pour trouver des artistes intéressants et originaux. Que s’ils cherchent d’autres artistes comme moi, ils doivent faire de vrais efforts de rechercher, mais aussi de soutenir les artistes qu’ils aiment des différentes façons qui s’offrent à eux. Voici un article qui traite de ce sujet.